Les modalités de la narration
(ne pas confondre position du narrateur et points de vue narratifs)



1)    La position du narrateur

         La position du narrateur, c'est la place qu'il occupe par rapport à l'histoire : ou bien il la raconte du dehors, ou bien il participe à cette histoire en tant que personnage.

a)    Le narrateur extérieur à l'histoire (narrateur hétérodiégétique).

-         Même extérieur à l'histoire, le narrateur peut livrer dans sa narration des traces de sa présence : le récit au sens strict laisse alors place au discours ; des indices d'énonciation signalent la présence de quelqu'un qui juge les personnages, organise le récit, propose des réflexions. Ces manifestations du narrateur sont fréquentes dans les romans de Stendhal ou de Balzac.

-         Mais pour entretenir davantage l'illusion réaliste, le romancier peut choisir de dissimuler la présence du narrateur : les faits semblent alors se raconter d'eux-mêmes, sur le mode du récit pur (3e personne, temps du passé), les marques du discours n'apparaissent que dans les dialogues. Cette tendance s'impose dans les romans de Flaubert ou de Zola.

b)    Le narrateur-personnage (narrateur homodiégétique).

-         Le narrateur raconte sa propre histoire : le héros rapporte l'aventure qu'il a vécue. Le lecteur peut ainsi avoir l'impression d'entrer de plain-pied dans l'histoire (voir L'Etranger).

-         Le narrateur peut aussi raconter des faits dont il n'a pas été l'acteur principal mais simplement un témoin, à distance du héros que l'on découvre alors de manière indirecte (voir Le Grand Meaulnes).

         Le romancier opte parfois pour un dispositif complexe qui combine ces différentes possibilités : un premier narrateur laisse la parole à un second ; le narrateur que l'on croyait «au dehors» révèle qu'il a participé aux faits, etc. De telles structures peuvent difficilement être repérées dans les limites d'un extrait, mais il est important de les identifier dans une œuvre complète.

2)    Les points de vue narratifs

         On entend par point de vue, la perspective selon laquelle les événements de l'histoire sont perçus et présentés. Si le narrateur-personnage rapporte généralement les faits en fonction du point de vue limité qui est le sien, le narrateur situé hors de l'histoire peut choisir entre trois types de points de vue.

a)    Le point de vue omniscient.

         Les informations données par le narrateur dépassent le savoir et les possibilités de perception des personnages (le lecteur en sait plus que le personnage).

         Le narrateur ne se limite pas à un point de vue déterminé : il raconte à la manière d'un historien qui sait tout, change librement d'angle de vue, dévoile les pensées secrètes des personnages, peut se déplacer d'un lieu de l'action à l'autre et effectuer des retours en arrière.

         Cette technique ouvre de vastes possibilités à l'analyse psychologique, mais comporte des risques d'invraisemblance puisqu'elle suppose un narrateur aux pouvoirs surhumains.

b)    Le point de vue interne.

         Les informations données par le narrateur coïncident avec le savoir d'un personnage (le lecteur en sait autant que le personnage).

         Les faits racontés sont perçus et interprétés à travers le point de vue d'un personnage précis. La réalité décrite est limitée par les possibilités d'une perception subjective, que ce soit celle d'un narrateur-personnage ou d'un personnage qui n'est pas narrateur.

         Cette technique impose des contraintes, mais rend vraisemblables les informations communiquées par le narrateur, puisque celles-ci passent par un point de vue humain limité dans lequel le lecteur peut facilement se reconnaître.

c)     Le point de vue externe.

         Les informations données par le narrateur restent en deçà de ce que sait le personnage. (le lecteur en sait moins que le personnage).

         N'est décrit et raconté que ce qui peut être vu de l'extérieur, à partir d'une position neutre. Les faits et gestes sont présentés d'un point de vue purement objectif, tels qu'ils pourraient être enregistrés par l'œil d'une caméra, sans l'interprétation d'une conscience. On ne connaît donc pas les pensées des personnages décrits.

         Cette technique est fréquemment pratiquée au début d'un roman, lors de l'entrée en scène de l'« inconnu » sur lequel le romancier veut attirer l'attention. On la rencontre surtout dans les romans contemporains, en partie sous l'influence du cinéma.

         Les textes narratifs présentent souvent des variations de point de vue : le point de vue externe peut être une stratégie provisoire (début de Germinal) ; plusieurs points de vue internes différents peuvent se succéder (dans un roman par lettres)... Il ne faudra donc pas s'empresser d'étendre à tout un roman la technique repérée dans un extrait ; inversement, la connaissance du roman intégral aide à mieux analyser le point de vue utilisé dans un passage.


3)    Temps du récit / temps de l'histoire